Vers la beauté, par David Foenkinos, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 20 août 2018

David Foenkinos renoue avec le monde de la peinture pour son très beau roman, Vers la beauté. On y croise d’ailleurs Charlotte Salomon, sujet de son roman paru en 2014. Antoine Duris est professeur d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Lyon. Mais il décide de démissionner et se fait engager comme gardien au Musée d’Orsay où une rétrospective Modigliani s’ouvre justement. Ca tombe bien, Antoine a consacré sa thèse au peintre. A Paris, le nouveau gardien évite autant que faire se peut toute forme de socialisation. Il vit dans le souvenir de l’amour de Louise et dans un spleen dont le lecteur ne connaîtra la raison qu’en toute fin de roman. Dans l’exercice de sa nouvelle fonction, Antoine ne peut s’empêcher de compléter les commentaires du guide qui conduit les groupes à travers le musée. Sa première intervention lui vaut une remontrance de la pourtant bienveillante Mathilde, directrice des ressources humaines. La seconde incartade sera fatale. Mathilde, qui n’est pas insensible à la personnalité très réservée et un peu rêveuse d’Antoine, le ramène à Lyon. En arrivant dans sa ville, Antoine conduit Mathilde dans un cimetière, sur la tombe de Camille Perrotin, morte à l’âge de 18 ans. C’est dans…

Etre ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker, par Marie Darrieussecq, P.O.L. éditeur
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 20 décembre 2017

Un geste amoureux. Ainsi Marie Darrieussecq définit-elle l’écriture de cette biographie, rédigée alors qu’avec Julia Garimorth  et Fabrice Hergott, elle préparait l’exposition Paula Modersohn-Becker au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris programmée d’avril à août 2016, «un printemps et un été pour Paula, cent dix ans après son dernier séjour parisien. Ecrire, montrer, c’était pour moi le même geste amoureux.» Au-delà de ce geste amoureux, il existe une large communauté d’intérêts entre Paula M. Becker et Marie Darrieussecq. La vie de la première est jalonnée des thèmes chers à l’œuvre romanesque de la seconde. A commencer par la tension entre conjugalité et liberté. Mariée au peintre Otto Modersohn, Paula s’émancipe de la peinture traditionnelle pratiquée par son mari en cherchant et en innovant sans cesse. Si elle aime son mari, que lui l’aime en retour, elle ne rêve que de s’échapper de ce mariage. Une tension qui se fait aussi géographique. De son village de Worpswede, près de Brême, au nord de l’Allemagne, Paula M. Becker n’aspire qu’à rejoindre Paris, ce qu’elle fera, la première fois le 1er janvier 1900. Dans le monde si masculin de la peinture du début du 20è siècle, le parcours de Paula M….

La petite danseuse de quatorze ans, par Camille Laurens, éditions Stock
CRITIQUE , ESSAI / 28 novembre 2017

Il est des œuvres d’art qui provoquent en vous des émotions particulières. Ainsi de La petite danseuse de quatorze ans pour Camille Laurens qui lui consacre un remarquable essai. Le lecteur fait connaissance avec Marie Van Goethem, petit rat de l’Opéra qui a posé pour Degas. En cette fin de 19è siècle, les petits rats ne sont pas à l’Opéra par amour de la danse, mais pour effectuer un travail, payé deux francs par jour, c’est très peu, mais c’est le double d’un mineur ou d’un ouvrier du textile. Les jeunes filles (elles ont entre 12 et 16 ans) y cherchent aussi un protecteur, un de ces bourgeois venus s’encanailler au foyer de l’Opéra Garnier. Degas se mêle à eux de 1860 à 1890 environ, non pas pour le plaisir du corps, mais pour étudier les danseuses dans leur cadre. Degas expose La Petite Danseuse en 1881, lors de la sixième exposition des impressionnistes auxquels il est souvent associé. Mais il n’est pas victime de leur «cécité sociale» nous rappelle Camille Laurens. En 1881, La Petite Danseuse fait scandale. La statue est en cire, une aberration pour l’époque, et exposée sous verre. Mais Degas a surtout donné de Marie une…

La dernière des Stanfield, par Marc Levy, éditions Robert Laffont et Versilio
CRITIQUE , ROMAN / 1 septembre 2017

Que sait-on de la vie de nos parents avant notre naissance? Pas grand chose en dehors de ce qu’ils ont bien voulu nous raconter. Mais lorsqu’ils prennent quelques arrangements avec la vérité ou décident tout simplement de ne rien dire, les choses se compliquent. Lorsque vous vous prénommez Eleanor-Rigby et que vos frères et sœur ont pour prénom Maggie et Michel, vous savez en tout cas que vos parents sont des fans des Beatles. Eleanor-Ribby est au centre de ce roman savamment construit. Avec La dernières des Stanfield, Marc Levy démontre une fois de plus son talent de conteur. Tout commence par une lettre anonyme adressée à Eleanor-Rigby à propos d’un trésor qu’aurait caché sa mère, récemment disparue. Décidée, contre l’avis de sa famille, à suivre la piste du corbeau, Eleanor-Rigby quitte Londres pour Baltimore où elle va faire la connaissance d’un homme prénommé George-Harrison. Lui aussi a reçu une mystérieuse lettre et cherche à savoir qui est son père. Les voilà tous deux sur la piste des Stanfield, riche famille de Baltimore dont l’un des ancêtres a été le fondateur. La quête d’Eleanor-Rigby et de George-Harrison va les faire voyager dans le temps et dans l’espace, des résistants de…

Le cri du diable, par Damien Murith, éditions L’âge d’homme
CRITIQUE , ROMAN / 15 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Damien Murith a fait une entrée en littérature très remarquée en 2013 avec La lune assassinée, premier roman d’une trilogie qui s’achève avec Le cri du diable. On retrouve toute la force de l’auteur, cette écriture près de l’os, qui nous avait tant séduit dans le premier roman et qui s’était un peu diluée avec Les mille veuves. Ici, pas un mot de trop pour dire le village, l’homme malade et peut-être contagieux qui finit par mourir. Camille, sa veuve, est convoitée. Et lorsqu’elle demande de l’aide pour mettre au monde le veau, celui qui vient aider la vache à mettre bas met aussi ses mains sous la jupe de Camille et la langue dans sa bouche. Pour se défendre, Camille s’aide de la fourche, et tue. Pour échapper à la vengeance, elle prend le train pour la ville, où une autre vie l’attend. Une autre vie où les hommes ne changent pas, fussent-ils peintres. Damien Murith travaille sa phrase jusqu’à l’épure. Le texte évoque plus qu’il ne décrit. Il n’en est que plus fort, plantant les crocs de la littérature dans le cœur du lecteur. Des personnages en ombres plus qu’en lumière, des destins contrariés, des…

Hommage à Gonzague Saint Bris
ACTUALITE , ENTRETIENS / 8 août 2017

Gonzague Saint Bris a perdu la vie la nuit dernière dans un accident de voiture en Normandie, a annoncé à l’AFP l’assistante du romancier, confirmant une information du Point. Ce journaliste et critique littéraire, pour Le Figaro et Paris Match, avait publié le roman Les Vieillards de Brighton distingué par le prix Interallié. J’ai rencontré Gonzague Saint-Bris à trois reprises. La première fois, c’était en 2010, pour la publication de son livre consacré à Michael Jackson (lire ci-dessous). La deuxième fois, c’était en 2011. J’ai eu le plaisir d’animer une rencontre à la société de lecture de Genève où Gonzague Saint Bris était venu parler de sa biographie d’Alfred de Musset publiée par Grasset. La troisième et dernière fois, c’était toujours en 2011, Gonzague Saint Bris avait très gentiment accepté de participer au cercle de lecture que j’anime depuis douze ans maintenant à la Société de lecture de Genève. Avec les participants au cercle, il était venu s’entretenir de son Roman de Venise publié aux édition du Rocher. Nous avions terminé la soirée en tête-à-tête Aux Armures, autour d’une fondue. En modeste hommage au généreux Gonzague Saint Bris, je publie l’entretien mené en 2010 lors de la sortie d’Au paradis avec Michael…

La valse des arbres et du ciel, par Jean-Michel Guenassia, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 28 avril 2017

Dans ce beau roman de Jean-Michel Guenassia, c’est Marguerite Gachet, la fille du fameux Docteur Gachet, qui nous parle. Promise au fils du pharmacien depuis l’enfance, elle déroule sa vie de jeune fille de dix-neuf ans entre l’absence d’une mère décédée trot tôt et un père indifférent. La force de l’habitude règne en maîtresse absolue. Jusqu’à ce que débarque, d’abord dans la vie du Docteur, puis, très vite, dans celle de la jeune femme, un certain Vincent, peintre fauché de son état. Ce que nous lisons, ce sont les carnets de Marguerite, rédigés, semble-t-il, des années plus tard. Elle y raconte son histoire d’amour avec Van Gogh. Mais la jeune femme a une rivale imbattable, la peinture. Au travers de cette histoire d’amour, Jean-Michel Guenassia nous promène subtilement dans cette fin de 19è siècle. Le talent des Impressionnistes n’est pas encore reconnu et le Docteur Gachet, pas si bon que ça, flaire la bonne affaire. L’auteur nous plonge aussi au cœur de la création de Van Gogh. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, il donne de la fin du peintre une version bien différente de celle retenue par la culture populaire. Un roman plaisant, à l’écriture ample,…

Louis Soutter, probablement, par Michel Layaz, Editions Zoé
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 14 février 2017

Il faut une sensibilité hors du commun pour réussir ce que Michel Layaz atteint à la perfection avec Louis Soutter, probablement. Et toute la finesse de l’exercice réside dans ce «probablement». Biographie romancée du peintre et violoniste suisse, l’ouvrage respecte scrupuleusement le parcours de vie de Louis Soutter. Violoniste de talent, marié à Madge, et vivant à Colorado Springs, Soutter est victime de troubles qui pourraient s’apparenter au syndrome de Stendhal lorsque son jeu de violon atteint un seuil d’émotion insupportable. «Les êtres singuliers et leurs actes asociaux sont le charme d’un monde pluriel qui les expulse». Ainsi Jean Cocteau définit-il ses Enfants terribles. La phrase sied à Louis Soutter aussi bien qu’un de ces costumes à la coupe impeccable qu’il affectionnait tant. Tellement expulsé Louis Soutter qu’il se retrouve à l’asile. Pas chez les aliénés, non, mais parmi ceux qui ne parviennent pas à subvenir à leur besoins, à survivre seuls dans la vie que l’on qualifie, souvent à tort, de normale. A l’asile de Ballaigues, Soutter renoue avec le dessin qu’il avait pratiqué et enseigné aux Etats-Unis. Mais son art prend une toute autre dimension dans la chambre de l’asile. Le lecteur suit Louis, vit avec Louis, marche…

La vie aveugle, par Loïc Merle, Editions Actes Sud
CRITIQUE , ESSAI , ROMAN / 18 janvier 2017

Heureux hasard, cette lecture intervient tout de suite après celle de La Cheffe, roman d’une cuisinière, de Marie Ndiaye. La vie aveugle de Loïc Merle, traite en fait du même sujet. Pourquoi les artistes créent-ils? Pour qui? Qu’en est-il des honneurs et de la reconnaissance? La vie aveugle est à la croisée du roman et de l’essai. Divisé en deux parties, ce livre tient de la sainte colère, de l’appel au secours. La première partie se penche sur l’autoportrait en véronèse de Van Gogh. Le narrateur entend littéralement la voix du peintre et l’auteur nous raconte le parcours de cette toile d’abord offerte à Gauguin puis notamment montrée lors de l’exposition itinérante organisée par les nazis et consacrée à l’art dégénéré. Loïc Merle va même jusqu’à imaginer Samuel Beckett en visiteur de cette exposition. La deuxième partie, beaucoup plus romanesque, est écrite d’un seul trait de plume sur près de 140 pages, sans paragraphes, comme si l’intégralité de l’écriture, et donc de la lecture, ne souffrait aucun répit. Le narrateur y rencontre Auguste Strahl, le plus grand peintre de ce début de siècle, peintre visiblement né de l’imagination de Loïc Merle. Strahl reçoit le narrateur dans sa ville d’adoption, le…